Chère maman,
Ces dernières années, ton cerveau était bien atteint mais tu étais toujours contente d’une visite, d’un temps passé ensemble et tu observais et tu commentais sur tout ce qui t’entourait.
Un peu comme dans ta carrière professionnelle, ton esprit critique toujours en éveil.
Tu avais accompli des études universitaires brillantes, tu étais un incroyable génie des mathématiques. Tu as commencé un cursus doctoral mais il s’est interrompu car il y avait des choix familiaux à faire. Tu as choisi une grande famille, avec six enfants, une fierté, ta fierté, incommensurable. En parallèle, tu as enseigné les maths au lycée pendant 20 ans, avec une facilité et une aisance que tes élèves appréciaient. Moi aussi, j’ai bénéficié de ta clairvoyance, de ta légèreté à aborder les enseignements du programme scolaire. On pouvait s’en amuser ensemble. Aujourd’hui c’est à mon tour d’enseigner et comme toi, je me suis inspirée de ta manière de faire, je prends des distances et j’apporte un éclairage adapté. Tu avais cette générosité de comprendre que tout le monde n’est pas un génie en maths. Tu nous aidais si naturellement à trouver notre chemin dans ces méandres.
Et puis, finalement, quand tes enfants ont tous été grands, ton esprit curieux et ton génie des mathématiques a vite repris le dessus. Tu as vu et compris avant tout le monde la révolution du calcul symbolique. Une nouvelle abstraction avec quelques pincées d’algorithmes originaux, et , te voilà, en l’espace d’un clin d’œil, spécialiste mondiale et la seule femme à ce niveau d’expertise ! Je me souviens de mes premiers pas en Mathematica, que tu as guidé. Quelle chance pour moi d’avoir des leçons particulières. J’étais admirative. Tu connaissais tous les auteurs et les créateurs de ce logiciel révolutionnaire. Naturellement, tu as écrit plusieurs livres très appréciés de la communauté éducative.
Tu as aussi créé des jeux pédagogiques et révolutionné la façon d’enseigner. Tes projets à “Maths en Jeans” et avec l’Association des Professeurs de Mathématiques t’ont valu de nombreuses accolades. On a tous été épatés de tes créations.
Et comme une cerise sur le gâteau, tu as reçu le prix Wolfram de l’innovation, une reconnaissance internationale plébiscitée. Quelle merveilleuse expérience pour toi d’avoir contribué ainsi à cette branche des mathématiques, un progrès scientifique majeur. La reconnaissance de ton esprit vif et inventif. Tu étais toujours prête à relever un nouveau défi, à te pencher sur un nouveau problème.
Et puis, n’oublions pas ta propriété de l’Ile Saint Amour et les jolies roses que tu avais fait pousser sur les petits ponts. Un lieu de vie et de travail créatif dont tu avais rêvé mais qui a été si difficile et si couteux en termes d’énergie et de batailles juridiques. Quelques-unes tu as gagnées, une dernière t’a terrassée. Et puis, les malheurs de la vie, les pertes d’êtres chers, et la maladie, ne t’ont pas épargnée.
Enfin, une vie bien remplie, avec des incroyables moments de brillance, beaucoup de rires et des joies, qui constituent mon héritage, ce que je choisis de me souvenir et de chérir quand je pense à toi.
Merci maman.